L’affaire DSK, comme symbole du sexisme et révélateur de la complicité de classe
Solidarités masculines, de classe, complaisances, confusions, propos sexistes et misogynes, voilà ce qui apparaît dans les médias quand un patron du FMI est accusé de viol par une femme de chambre. La tonalité des commentaires sur l’affaire DSK est symptomatique d’une société qui maintien le viol dans le tabou et protège les puissants. Elle aura mis en lumière le mépris à l’égard de la parole des femmes et la solidarité de classe qui domine l’espace public.
La complicité de la presse bourgeoise :
Dans la bouche de journalistes, d’ex patron de presse ou de politicien-nes, la spontanéité des réactions en dit long : DSK serait un « libertin », un « séducteur », il ne s’agirait pas d’un viol mais d’un « troussage de domestique », ou encore cette réaction spontanée d’une ancienne présidentiable qui dit d’abord « penser à l’homme ». Pour se justifier, les directeurs de journaux évoquent le « mur de la vie privée » ou celui de la « chambre à coucher ».
Quand les associations féministes tentent de porter une parole sur les violences faites aux femmes, elle est écrasée par la masse de propos de ceux et celles qui ne s’intéressent qu’aux conséquences politiciennes de cette « affaire ». Bon nombre de journalistes français refusent de faire leur boulot en ne lisant ou en n’écrivant pas les chefs d’inculpation contre DSK. Propos particulièrement symptomatique de ce qui est à l’œuvre dans cette affaire et comme dans toutes les histoires de viol, on ne pense pas à la victime.
L’invisibilité de la parole des femmes
Dans l’affaire DSK, comme dans d’autres, la victime est invisible, les conséquences de ce crime sur elle ne sont pas dites et quand elle est citée dans les médias, sa parole est mise en doute. Les propos sexistes et les hypothèses les plus extravagantes se succèdent : elle serait trop « laide » pour être violée, trop belle donc forcément prostituée, tantôt manipulatrice pour gagner de l’argent, tantôt l’instrument d’un complot international pour piéger le directeur du FMI. Sa vie privée et son histoire personnelle sont disséquées par la justice américaine et exposées dans les médias qui s’en gargarisent. Elle se doit d’être une « bonne victime » pour être crue, une « sainte vierge » qui n’aurait pas vécu et qui n’aurait jamais menti.
Mais les propos tenus dans cette affaire ne sont pas exceptionnels. Les victimes de viols ont à subir, en plus de l’agression, la double peine de l’omerta, du dénigrement de leur parole, de la banalisation de l’agression, de la critique de leur comportement pendant l’agression ou des complaisances ou autres excuses envers l’agresseur. « Le viol est le seul crime ou la victime se sent coupable » dit Clémentine Autain, peut être notamment parce qu’il est aussi le seul crime où la victime est soupçonnée.
Le viol : une affaire de domination masculine
Dans la plupart de ce que la presse considère comme des «faits divers », les journalistes recherchent et mettent en avant le côté sordide lorsqu’il s’agit d’affaire de viol. La population s’effraie de cette violence et les politiques nous pondent toujours plus de propositions de lois répressives, comme une solution miracle. Mais qui évoquent la cause profonde des histoires de viol ? Qui rattache ces histoires à une analyse politique de la domination masculine ? Les violences sexistes et sexuelles sont le quotidien des femmes !
Les viols ne sont pas des accidents isolés, commis par des déséquilibrés ou des fous. Le viol fait partie des violences masculines, et ces violences sont un moyen d’instiller la peur chez toutes les femmes et de les contrôler.
La très grande majorité des auteurs de viols sont des hommes (96%) et la très grande majorité des victimes sont des femmes (91%). En France, 16% des femmes ont subi un viol ou une tentative de viol (59% alors qu’elles étaient mineures) et 5% des hommes (dont 67% quand ils étaient mineurs)i.
Il y a 206 viols par jour en France. L’endroit le plus dangereux pour les femmes n’est pas l’espace public, un coin sombre dans un parking, la rue la nuit, contrairement à ce que l’imaginaire véhicule. C’est dans la sphère privée que la plus forte probabilité d’être violée existe. 80% des victimes de viol connaissent l’agresseur. C’est le conjoint, le père, le frère, le voisin ou le collègue.
Le violeur est « Monsieur tout le monde », il n’y a pas de profil type et c’est encore moins le psychopathe de service. L’actualité donne encore une pathétique illustration de ce préjugé selon lequel le violeur serait malade.
Mais les expertises réalisées par les psychologues ou psychiatres des tribunaux auprès des agresseurs sexuels nous disent que ce sont des hommes « normaux », intégrés à la société, qui ne sont pas des déficients mentaux, et 90% d’entre eux n’ont pas une pathologie particulière justifiant la barbarie de leur acte.
Les violeurs sont de toutes les classes sociales. Ce n’est donc pas non plus la pauvreté qui explique cet acte. Le collectif féministe contre le viol qui recueille la parole des victimes via un numéro d’écouteii montre dans une étude récente qui porte sur 300 agresseurs que 23% sont dans les professions médicales et paramédicales, 17% dans l’enseignement et l’animation, 13% ont des responsabilités d’encadrement et 10% sont issus des métiers de la loi et de l’ordre.
On ne s’étonnera pas cependant de ne pas retrouver dans les dossiers de cour d’assises une plus forte proportion de condamnation d’auteurs issus des classes sociales dominantesiii. La justice de classe dans les affaires de viol condamne essentiellement les agresseurs issus des classes populaires. On peut aussi supposer que les victimes issues des classes sociales aisées portent moins plainte par peur du scandale ou de la déqualification sociale.
L’Etat, la police et la justice participent au contrôle de la vie des femmes. 10 000 plaintes pour 75 000 viols et 2 000 condamnations pour 10 000 plaintes… Qu’arrive-t-il aux autres ? Pourquoi les 8 000 autres plaintes n’ont pas abouti ? Ces femmes étaient-elles toutes des menteuses ?
Ce qui est au centre de l’acte de viol c’est la volonté et l’expression de la domination masculine. C’est une démonstration de pouvoir dont le seul objet est de soumettre l’autre, de l’humilier, de la déshumaniser, de nier son individualité et sa part de liberté. C’est un acte d’appropriation du corps des femmes et des dominés. Il est le mépris du consentement et de la libération sexuelle des femmes parce qu’il confisque la liberté de choix, il permet d’atteindre de force l’intimité des femmes, de les contrôler et de les culpabiliser.
Le viol : « une petite mort »
Dans une société qui pense avoir accompli la libération sexuelle et atteint soit disant l’égalité entre les hommes et les femmes, les préjugés persistent sur le comportement qu’est censé avoir une femme pour se protéger d’une agression ou l’éviter. Les femmes qui ont subi un viol s’entendent dire qu’elles auraient dû savoir dire non à leur mari violeur, se défendre, crier, appeler au secours ou mordre le sexe de l’agresseur… Ces injonctions à être « la bonne victime » entretiennent la culpabilité des femmes qui ont ou qui subissent régulièrement une agression sexuelle et le silence qui l’entoure. Elles témoignent de la méconnaissance de ce qui se passe pendant ce type d’agression. Les femmes qui osent courageusement briser le silence sur ce qu’elles ont vécu disent dans quel état de sidération et de peur elles étaient pendant l’agression. Beaucoup pensent qu’elles vont mourir. Nul besoin de coups ou d’armes pour paralyser quelqu’un, la pression psychologique ou les menaces suffisent. Le viol a ceci de particulier que l’émotion vécue pendant l’agression est présente à chaque évocation de celle-ci.
Pour les victimes de viol, il y a un avant et un après l’agression. Beaucoup parlent d’une « petite mort ». Les conséquences sont nombreuses sur la vie des victimes : la perte de confiance en soi, la peur permanente, le stress post traumatique, la désaffiliation sociale, les troubles de la sexualité, les problèmes de couple ou dans l’emploi. La santé peut être également altérée de façon grave, des troubles psychiatriques, des problèmes cardio-vasculaires, des addictions peuvent apparaître. Les suicident ou les morts précoces ne sont pas rares chez les victimes d’agression sexuelle.
Tout ce qui n’est pas oui, c’est NON
La persistance d’agressions sexuelles et de viols dans notre société questionne la libération sexuelle. Parce que n’importe quelle femme peut être violée ou subir une tentative de viol, ce droit à avoir une sexualité libérée n’existe pas complètement. Or, dans les représentations collectives, le préjugé selon lequel la libération sexuelle est advenue pour toutes, est tenace. Il reposerait désormais sur les femmes de savoir dire non. Le mouvement des femmes des années 70, qui nous a apporté un certain nombre de fondamentaux, comme « Céder n’est pas consentir », est malheureusement trop oublié.
Il est temps de ne plus faire reposer la question de l’expression du consentement seulement sur les femmes. C’est aux hommes à qui revient la responsabilité de comprendre que tout ce qui n’est pas oui, c’est non.
Janvier 2012 – Lénaïc (du groupe Albert Camus -Toulouse) – Zora (CGA Lyon)
i (enquête CSF 2006 Ined/Inserm
ii SOS viols femmes informations 0800 05 95 95 FREE
iii Le viol, aspect sociologiques d’un crime, La Documentation française, 2011