Chaque année où des mouvements sociaux se déclenchent, les syndicats alternatifs nous ressortent de leur tiroir leur rengaine sur la convergence des luttes. L’idée en soit serait même plutôt séduisante, si elle n’était pas à la fois incantatoire et dénuée de substance.
Il s’agit ici de faire une critique constructive de cette démarche, souvent impulsée par des syndicats dits « de lutte » qui vise si on en croit leurs porte-drapeau à faire se regrouper des luttes afin d’être « plus nombreux, donc plus forts face aux gouvernements ». La convergence des luttes se borne à cet égard souvent à tenter de faire juxtaposer des luttes à caractère corporatiste dans l’espoir qu’une multiplication des fronts soit porteuse de victoires sociales. Sans caricaturer non plus ces organisations en leur prêtant une analyse indigente, nous ne pouvons que mettre en exergue les limites du « tous ensemble » comme une volonté unitaire nivelée par le compromis, vide de sens révolutionnaire, à défaut d’avoir une direction au mieux réformiste.
Tentative de bilan critique de la « convergence des luttes»
D’aucuns mettront en exergue en premier lieu, que si la convergence des luttes ne prend pas réellement, c’est du fait du blocage systématique des bureaucraties syndicales. On ne peut effectivement qu’abonder dans ce sens, en ne se privant pas néanmoins de préciser que c’est là leur raison d’exister en tentant aujourd’hui de garder le monopole de l’expression des mécontentements. Pour cela il leur faut canaliser toute forme de révolte qui entendrait se soustraire ici et maintenant à leurs directives, coloriées de paritarisme et de collaboration de classe.
Aujourd’hui, même si la démarche visant à appeler à la convergence des luttes apparaît comme l’unique forme, se voulant radicale, d’un dépassement de la spirale de défaite dans laquelle est embourbée le mouvement social, elle n’en sort pas pour autant des formes figées de la contestation. Elle reste diligentée souvent par des appareils syndicaux, même s’il s’agit d’appareils alternatifs comme les SUD.
Malgré tout, on peut apporter à ce propos critique, une touche d’optimisme, du fait que dans de nombreuses grandes villes des tentatives de dépassement de ces formes figées de la lutte ont eu lieu au printemps dernier. Ces tentatives peuvent être illustrées par un recours récurrent aux blocages économiques portant la volonté de vraiment faire mal au système en neutralisant ponctuellement ses flux économiques et humains (gares, transports, voies publiques, routes…) Et même si on peut toujours en relativiser l’impact, ces actions entendaient porter atteinte à l’impunité économique et à l’apparente pacification sociale. Pour le coup, de même que pour les comités d’usagers solidaires des grévistes du rail, il s’agit plus d’actions menées par des militants actifs des divers secteurs en lutte que d’une réelle convergence. On pourra toujours nous objecter leur caractère minoritaire, et le peu de résonance qu’elles ont pu avoir chez les autres salariés où précaires, elles ont en tous cas régulièrement pris pour cible le système économique et son protecteur étatique, et représentent clairement une tentative de sortir d’une forme de contestation sclérosée.
Dans ce sens, des collectifs comme l’Interlutte à Toulouse, ont vu le jour. Ce collectif avait pour modeste ambition d’ouvrir un espace de rencontre pour les divers acteurs des luttes, comme préalable à toute convergence. L’Interlutte a ainsi tenté par le maintien d’assemblées générales hebdomadaires, et une articulation quasi systématique entre réflexions et actions directes, de faire émerger une pratique autonome de la lutte sociale anticatégorielle plus que inter-catégorielle.
Nous ne pouvons pas non plus éluder les luttes ouvrières où d’autres formes de liens ont été tissés, même s’ils n’ont pas pris le nom de « convergence ». Là aussi, même si les pressions et la répression ont eu raison de la résistance des ouvriers en grève, ces derniers n’en ont pas moins tenté et souvent réussi de construire des ponts entre leur lutte respective comme on a pu le voir entre les ouvriers de Freescale et de Molex, où les grévistes se rendaient régulièrement aux piquets de grève des uns et des autres. Pour citer un autre exemple, il y eut aussi les tentatives de regroupement des usines en luttes du secteur des métaux, souvent impulsée par des syndicats oppositionnels de la CGT. Cela en fit souvent une pratique de solidarité émanant de la base plus qu’une convergence, qui entendait extirper la lutte de son isolement aussi généré par la totale incurie des divers syndicats. Cela permit entre autres de mettre en avant autre chose que la revendication locale, de raviver l’affrontement de classe en mettant en avant la solidarité ouvrière contre les patrons, voyous ou pas, sans oublier au passage les parasites actionnaires.
Penser le dépassement
Ces exemples, aussi différents que la solidarité de classe, ou les collectifs d’individus en lutte, nous incite à entrevoir et penser un dépassement des formes figées de la contestation. Cela signifie oeuvrer pour un dépassement des syndicats qui trop souvent entretiennent la pacification des conflits sociaux. Pourtant, historiquement les Bourses du travail regroupant les syndicats locaux dans un esprit interprofessionnel, portaient réellement un dépassement du corporatisme. Aujourd’hui à l’intérieur d’une même confédération, il ne reste plus que des traces de cette solidarité interprofessionnelle.
Nous devons alors défendre l’autonomie des luttes, seule possibilité d’avoir un maximum de chances de gagner.
L’objectif ne doit donc pas se borner au « tous ensemble » cher à l’extrême gauche, mais porter en lui le mépris de l’autorité, identifier les ennemis et vouloir en finir avec eux et le monde catastrophique qu’ils gouvernent. Voici l’horizon vers lequel doivent tendre nos combats, et ce sans aucune espèce de croyance en un grand soir messianique.
Le constat est que les divers mouvements portant l’idée de convergence, tout aussi sincères furent-ils, n’ont en rien sorti la contestation du chemin que lui a balisé le pouvoir, l’encristant encore plus dans la spirale de la régression sociale. Plus que d’une convergence nous avons régulièrement affaire à de la juxtaposition, au nom d’attaques ayant la même source, mais en ne mettant que trop rarement en cause l’aspect corporatiste.
Même du côté des luttes étudiantes, qui sont encore des espaces propices à l’expression révolutionnaire où la volonté de converger semble la plus affûtée, le corpus revendicatif reste malgré tout beaucoup trop catégoriel.
Tout cela fait de la « convergences des luttes » telle qu’elle est portée, une somme de couleuvres avalées au nom de la sacro-sainte unité et du nombre qu’elle porterait en elle.
Les regroupements doivent se faire hors du compromis et en pensant la convergence non pas comme le moyen de satisfaire les diverses revendications catégorielles portées par les secteurs en lutte mais comme la méthode qui fait voler en éclat le repli corporatiste, impasse du mouvement social, et permet de porter le fer classe contre classe, par une pratique désaliénée.
Même si la situation actuelle du mouvement social ne paraît pas propice à une réalisation effective de ce dépassement des formes de lutte figées, comme de celui des syndicats qui canalisent bon an mal an les colères, les antagonismes de classe apparaissent néanmoins comme plus que jamais à vif.
De recomposition de la gauche en création de nouveau parti, les politiciens entretiennent les illusions démocratiques et essaient de surfer sur la vague des mécontentements et de la misère sociale. Un autre futur passera par un autre biais, par la capacité des individus à s’auto-organiser en dehors et contre la politique.
Ainsi, la radicalisation des luttes ouvrières avec l’identification du patron comme un ennemi, le retour d’ « illégalismes » mettant la lumière sur des conditions d’existence de plus en plus insoutenables et l’intensification des luttes à caractère autogestionnaire représentent diverses tentatives de répondre à la violence de l’Etat et du capital, même si elles sont peu fructueuses pour le moment. Ces tentatives sont encourageantes et doivent servir de base pour les conflits à venir en gardant comme pratique l’interaction constante entre les objectifs émancipateurs qu’on se fixe et les moyens autogérés auxquels on recourt.
Groupe Albert Camus