Retraites: L’insupportable concept de solidarité!

De quoi s’agit-il? L’augmentation du nombre de salariés retraités par rapport aux salariés actifs rendrait impossible le financement des retraites sur les bases actuelles, entendons le système dit « par répartition ». Posons un regard critique sur la façon dont nos dirigeants envisagent de « résoudre ce problème » et non de « prendre en compte cette demande de financement du système de sécurité sociale ». Le choix des mots prend ici toute son importance!

 

Quelques données socio-économiques. Entre 1980 et 2000, la productivité des salariés français a été multipliée par 3. En conséquence, un salarié et 2 retraités produisent autant en 2007 que 3 salariés en 1980! Le système de retraite par répartition pourrait donc supporter un ratio retraités/salariés trois fois plus élevé en 2007 qu’en 1980. Alors, à qui profitent ces gains de productivité? Pourquoi, alors que nous produisons de plus en plus, la richesse produite suffit de moins en moins? Dans la même période 1980-2000, la part des salaires est passée de 70% du PIB à 60%. Ceci signifie que 10% du chiffre d’affaires de l’entreprise France a été pris aux salariés, pour être distribué à d’autres, les actionnaires, les parasites du corps social! Alors que les retraites représentent aujourd’hui 13% du PIB, elles devraient représenter 15% du PIB en 2050. Peuchère! Mais peut-être le chiffre le plus important: plus de 250 milliards d’Euros sont distribués aux retraités français tous les ans, de quoi attiser bien des convoitises!

 

Comment diviser pour mieux régner. Nous voyons au travers de ces chiffres que l’aspect démographique n’est pas la seule donnée à prendre en compte. Pourtant, on n’entend parler dans les médias nationaux que de cet aspect du problème. Nous ne sommes pas surpris de la technique utilisée, tant elle est monnaie courante dans nos médias aux ordres. Qui veut tuer son chien prétend qu’il a la rage! En l’occurence, il s’agit de tuer le concept de solidarité inter-générationnelle qu’est la retraite par répartition. En 1945, lorsque le Conseil National de la Résistance a porté le projet de Sécurité Sociale, il avait pour objectif de couvrir l’ensemble de la société, en englobant les régimes spéciaux qui avaient été créés avant guerre. Les égoïsmes corporatifs ont joué à plein, et le principe « Chacun cotise selon ses revenus et reçoit selon ses besoins » n’a jamais pu être mis en oeuvre. Aujourd’hui, le non aboutissement de ce concept de justice sociale constitue l’angle d’attaque de la remise en cause des retraites par répartition. En effet, les bénéficiaires des régimes spéciaux nous sont présentés comme des privilégiés. Cette notion de privilège est bien sûr insultante lorsqu’on qualifie ainsi des salariés qui, une fois retraités, auront à peine de quoi vivre décemment. On sait bien que les véritables privilèges se situent ailleurs, mais en posant la question de la sorte, il en résulte une division au sein de la société, et cette division permet de « casser » la solidarité éventuelle entre les « régimes normaux » et les « régimes spéciaux ». Il n’y a plus qu’à remettre en cause les régimes spéciaux sous le regard gauguenard du citoyen moyen qui est bien content que le bâton ne frappe pas (encore) son échine.

 

Et les syndicats dans tout ça? Pendant que le puissant mouvement de contestation de novembre au sein de la SNCF et de la RATP était discrédité par les médias, les représentants syndicaux étaient déjà en train de négocier le recul social, alors qu’il n’y avait rien à négocier. L’absence de projet de société, l’acceptation du seul rôle d’accompagnateur des réformes, conduisent les secrétaires de ces confédérations à se faire les alliés objectifs des réformateurs. C’est l’un d’eux, le secrétaire général de la CGT, qui affirmait à l’antenne de France-Inter tout en brandissant la menace d’une grève de 24h: « La réforme ne passera pas dans ses contours actuels ». A entendre ces mots, on sait déjà que celui-ci a renoncé, et qu’il tentera d’entraîner dans son renoncement tout le syndicat qu’il représente. La base aura beau tenter de durcir le conflit, la division émanant du pouvoir syndical fera son effet, et un semblant de négociation permettra d’isoler les radicaux et ainsi d’entériner la réforme. Ces attitudes syndicales ne sont pas encourageantes. Pourtant, quel autre outil que le syndicat pourrait fédérer les volontés d’action et pour contrecarrer les régressions sociales dont nous sommes tous victimes?

 

Dénoncer leur projet. Le principe « Chacun cotise selon ses revenus, et reçoit selon ses besoins ». est insupportable pour les capitalistes de tous poils. Pour eux, les relations entre les individus ne doivent être que marchandes, et la solidarité est un concept à détruire, comme ils veulent détruire ce mécanisme économique de répartition des richesses à grande échelle que constitue la sécu (santé, retraite, famille). Et ceci pour deux raisons éssentielles: -1- En transformant les cotisations obligatoires redistribuées au fur et mesure des prélèvements en assurances individuelles dont la redistribution serait décalée dans le temps, il est possible de mettre la main sur un capital énorme. -2- Les patrons de tous bords qui attendent avec impatience une n-ième réduction des prélèvements sociaux qui améliorerait leur compétitivité internationale.

 

La solidarité reste à construire. Les régimes spéciaux de retraite ne sont ni plus ni moins injustifiés que les différences de salaires au cours de la vie active. Nos vies sont faites d’inégalités, et nous en sommes conscients. Défendre les régimes spéciaux de retraite n’a de sens que dans une perspective plus large de permettre à toute la populatuion d’accéder à un meilleur niveau de vie. Le danger est grand de vouloir raisonner sur les mêmes bases que nos « comptables ». Ceci conduit au « réalisme politique » qui transforme le syndicat en une machine à broyer les espoirs de ses militants. S’attaquer aux régimes spéciaux de retraite peut être vu comme une stratégie du gouvernement, qui lui permet de mesurer la capacité de réaction des bastions syndicaux de la SNCF et de la RATP. Si ces réformes passent, alors il pourra mettre les bouchées doubles dès les municipales passées.

 

La « tatchérisation » de la France s’est nettement accélérée avec l’arrivée au pouvoir de Sarkozy et nous sommes dépourvus d’organisation syndicale à la fois combative et massive. Il sera donc difficile de contrecarrer les mesures anti-sociales qui vont s’égrener après les municipales. Nous, Anarchistes, ne pouvons que faire ce constat désolant, tout en poursuivant avec optimisme la construction d’organisations politiques et syndicales à même de développer dans la société l’esprit révolutionnaire. Soyons de plus en plus nombreux à appeler à une rupture: Solidarité populaire contre individualisme forcené.

Toulouse – groupe Albert Camus